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Tu veux savoir ce qu’il y a de pire qu’une invasion de zombies ? Être enfermé dans son école pendant une invasion de zombies.
Je me présente. Moi, c’est Leïla Sans-Peur, cheffe de la section des chasseurs de zombies ultimes. Oui, on s’est baptisé comme ça nous-mêmes. Ça en jette, non ?
Laisse moi te présenter à la brigade. Ici, tu as Feiyaz l’aventurier. Oui, c’est ça, c’est le petit gros aux cheveux roux, avec les lunettes rondes et l’appareil dentaire. Hé, Feiyaz ! Tu pourrais au moins dire bonjour. Désolé, il ne retire presque jamais son casque de vélo. Il dit que ça le protège des morsures.
Feiyaz est notre tireur d’élites. Il utilise un méga pistolet à eau de la mort qu’il remplit de toutes sortes de liquides. Les zombies sont de vraies poules mouillées, littéralement. Il suffit de les asperger un peu trop fort et ils battent en retraite. Dommage qu’on soit en plein été et qu’il ne pleuve pas depuis plusieurs semaines, sans quoi, on se serait déjà fait la malle.
Là, tu as Lili la skateuse. Lili, c’est une intrépide et une roublarde. Tu la reconnaitras à sa casquette rose et blanche visée de travers sur ses cheveux noirs et à son air malicieux. Elle castagne les zombies avec un fusil lanceur de balles de tennis qu’on a déniché dans le gymnase. Avant que ça dérape, il servait aux membres de la section sport-étude pendant leurs entraînements. Sauf que nous, on ne s’entraîne pas. Quand on combat la vermine, c’est du sérieux.
Lili a le chic pour attirer les zombies. Avec les roues de son skateboard, elle fait un barouf du diable. Quand on se retrouve envahis, c’est elle qui joue les appâts et qui entraîne les zombies sur de fausses pistes pendant qu’on essaie de refermer les grilles.
Enfin, tu as Mohamed. Il se fait surnommer l’Arbalète, parce que c’est son arme de prédilection. Il est capable de viser un zombie en pleine poire même lorsqu’il pédale sur son vélo tout terrain. Si tu veux le suivre à la trace sur le champ de bataille, essaie de repérer une forme jaune mouvante ; c’est la couleur de son imperméable et de ses bottes cirées.
Mohamed est notre éclaireur et notre soutien stratégique le plus efficace. Comme il peut de déplacer deux fois plus vite que nous, on le sollicite partout où c’est nécessaire. S’il faut nettoyer une salle envahie par les zombies, il rapplique. S’il l’un de nous se retrouve esseulé, il contourne l’ennemi et lui porte secours. S’il faut fermer un portail en urgence, il pédale comme le vent et nous prête main forte.
Et moi, quel est mon rôle ? Disons que je suis la tête pensante du groupe. C’est moi qui dirige les opérations et qui définis les priorités lors des combats. Avec mon sabre laser, je peux découper les zombies en rondelle. Maintenant qu’ils savent de quoi je suis capable, ils se carapatent dès qu’ils voient apparaître une lumière violette et un chapeau de cow-boy. Ça n’est pas pour rien qu’on me surnommé Sans-Peur, crois moi.
On est tous des orphelins. C’est peut être pour ça qu’on a survécu à l’invasion zombie. Il n’y a que les adultes qui ont été touchés par le virus. Les enfants sont immunisés, ils ne se transforment pas, même s’ils sont mordus. Bien entendu, il faut encore qu’ils arrivent à survivre dans cet environnement hostile. Les zombies mangent tout ce qui leur passe sous la main, mais leur péché mignon, c’est la cervelle humaine. Alors, tous les jours, ils lancent une nouvelle attaque contre l’école et ils essaient de nous dévorer. On a beau sceller les portails avec des cadenas et des chaînes, ils arrivent toujours à les forcer et à pénétrer dans l’enceinte. Bizarrement, c’est quand ils s’attaquent à nos verrous qu’ils sont le plus efficace, parce qu’une fois qu’on les a en face de nous, ils sont mollassons et balourds. Ils avancent comme des escargots, ils bavent et ils grommellent. Voilà tout ce qu’ils savent faire. En réalité, ils ne deviennent dangereux que lorsqu’ils sont trop nombreux. Tant qu’on arrive à réguler leur nombre dans l’enceinte de l’école, on ne risque pas grand-chose. On s’est fait quelques frayeurs par le passé, mais on a réussi à éviter la catastrophe. Tout, sauf finir en hors d’œuvre pour zombie !
À présent, il faut que je te briefe sur ce à quoi nous sommes confrontés. Comme je t’ai dit, les zombies sont lents et pas très futés. Si tu as survécu jusqu’ici, c’est que tu as appris à connaître leurs faiblesses et à en tirer partie. Sauf qu’ici, on est confronté à des formes plus dangereuses et plus résilientes de ces déchets sur patte. On les a appelés les super-zombies, parce qu’on a pas trouvé de meilleur acronyme pour les définir.
Les super-zombies sont d’anciens résidents de l’établissement. Non contents d’avoir pourri notre scolarité de leur vivant, ils reviennent hanter l’école après leur mort. On ne sait pas trop quelles sont leurs motivations, mais on pense qu’ils ont dans leur cervelle des bribes de souvenirs de leur vie antérieure et qu’ils essaient de reproduire leur train-train quotidien en se rendant dans les lieux qu’ils ont le plus fréquentés de leur vivant. Ceux-là, on n’a jamais réussi à les exterminer, seulement à les faire fuir. Mais ils reviennent inlassablement à la charge. On pense même qu’ils embarquent les autres zombies dans leur sillage.
Parmi eux, tu as la biblio. C’est une vieille mégère avec des cheveux qui ressemblent aux bandelettes d’une momie, un petit nez épaté et une bouche édentée. Elle transporte toujours des livres avec elle. Il arrive qu’elle nous les lance, mais il faut vraiment que quelque chose l’énerve très fort. Si tu as le malheur de la laisser pénétrer dans le CDI, elle devient insensible aux coups, comme si la proximité avec les livres lui conférait des pouvoirs magiques. Tu peux ricaner, mais c’est pas des blagues. Si on utilise pas la ruse pour la faire décamper, on ne peut plus rien contre elle. C’est la même chose avec les autres super-zombies.
En deuxième, tu as celui qu’on surnomme le moustachu. Tu le reconnaîtras facilement à sa moustache rousse. Elle est tellement sale et dégoulinante de ses restes de repas qu’on dirait un garde-manger portatif. Le moustachu, c’est l’ancien homme d’entretien. Il porte toujours la blouse bleue réglementaire et il se trimballe avec sa serpillière et des produits d’entretien. Durant chaque invasion, il se dirige vers le self, qui est un vrai dépotoir. Notre théorie, c’est qu’il s’est transformé en zombie sans avoir eu le temps de tout nettoyer et qu’il s’est juré de rattraper cette faute, même dans la mort-vie. Quand il s’introduit dans le self, il entre en transe. Il fait tournoyer son balai autour de sa tête comme une furie. Il serait capable de tous nous assommer si on n’était pas vigilants.
En troisième, tu as la prof de gym. Oui, c’est son surnom. Enfin, c’était aussi son ancienne fonction. Excuse nous, tout le monde ne peut pas avoir l’imagination d’un Jean de la Fontaine.
La prof de gym est audible de loin. Elle a un sifflet coincé entre les lèvres et elle accompagne chacun de ses mouvement d’un bruit strident. Elle est si horripilante qu’au début, on avait toujours tendance à vouloir la faire déserter le champ de bataille en première. Depuis, on s’est rendu compte que c’est une stratégie pour nous déstabiliser et on emporte des bouchons d’oreille. Dès qu’elle s’approche un peu trop près, hop ! on les enfile et on essaie de s’éloigner le plus possible. Le truc, c’est de ne jamais la laisser pénétrer dans le gymnase, sinon ça fait caisse de résonance et même nos protections auditives deviennent inutiles.
Enfin, tu as drôle de grimace. Drôle de grimace, c’est notre ancien prof de maths. Il a une tête d’ampoule, une calvitie et une tâche de naissance sur le haut du crâne. Si tu sens une odeur de café, tu peux être sûr qu’il est dans les parages. Il était accro à la caféine de son vivant. On pense que son addiction l’a suivi dans la mort-vie. Il se promène toujours avec une tasse vide à la main. Si jamais il parvient à pénétrer dans la salle des professeurs, celle au centre du bâtiment, avec les murs rouges, il se met à tout saccager dans l’espoir de trouver la machine à café. Sauf que nous, la machine à café, ça fait belle lurette qu’on s’en est débarrassé. Allez expliquer ça à une créature totalement décérébrée – non, je ne parle pas des adultes en règle générale, même si je t’accorde que la comparaison est valable ; je parle bien de drôle de grimace.
Voilà le topo, l’ami. Nous quatre, contre le monde entier. Nous cinq, maintenant. Tu te sens d’aplomb ? Les zombies n’ont pas encore attaqué aujourd’hui, mais mon petit doigt me dit que ça ne va pas tarder.
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Qu… Quoi ? Comment ça tu n’as pas trouvé d’arme pour te défendre ? C’est malin, tu vas être obligé de rester collé à moi comme une sangsue.
Les zombies sont arrivés, comme je l’avais prévu. Ils sont déjà rentrés dans l’école. Ça, je ne l’avais pas prévu du tout. La prof et la biblio ont envahi le self. Le moustachu et drôle de grimace sont en train de mettre la pagaille dans les salles de classe. J’ai envoyé Lili et Mohamed se mettre en embuscade dans le gymnase. Si jamais les zombies essaient s’investir le bureau des professeurs, on devrait pouvoir les prendre en étau et les faire déguerpir. Mais ne te fais pas d’illusions, même si on y arrive, ils vont revenir. Notre priorité numéro un, c’est de fermer les portails. Y a que comme ça qu’on calmera la tempête à venir. Feiyaz, j’espère que tu as bien accroché ton casque sur ton crâne. Ça va swinguer, foi de Leïla Sans Peur.
*
Alerte ! Alerte ! On a quatre zombies dans les salles de classe. Impossible d’y pénétrer. Que… Comment ça il y en a deux également dans le gymnase ! Lili ? Mohamed ? Qu’est-ce que vous avez fichu ? Raaaah… Peu importe, l’essentiel, c’est de désengorger l’invasion dans les classes. Feiyaz ! Bon sang, où Est-il passé ? On a besoin d’artillerie. Pas hier, pas demain, maintenant !
Ah, te voilà sac à patates. J’espère que ton fusil à eau est plein. On va en avoir besoin. Oui ? Génial ! Alors tire, qu’est-ce que tu attends ? Le déluge ?
Super ! En plein dans le mille, regarde les s’emmêler les pinceaux ces stupides mangeurs de cervelle ! On dirait des oisillons en train de se noyer dans une flaque d’eau. Allez, à moi de jouer. Tu ferais mieux de rester en arrière. Je m’occupe d’en finir avec les intrus, mais ça va pas être beau à voir.
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Mais qu’est-ce qu’ils ont aujourd’hui ? Ils sont déchaînés on dirait. Feiyaz, attention, le moustachu essaie de t’attirer dans un… Trop tard, il l’a enfermé dans le self. Comment ? Me faire du soucis pour Feiyaz ? Oh, je te rassure, il va s’en sortir, ça va juste le ralentir un peu. Et puis, Lili m’a dit qu’elle avait traîné drôle de grimace dans la cour des CM2, celle qui est juste derrière le gymnase. Au moins, Feiyaz s’en est rapproché. Ce qui m’inquiète, moi, c’est que je n’ai pas vu Mohamed depuis cinq bonnes minutes. Il a pédalé vers la bibliothèque, et puis il a disparu. Je me demande bien ce qu’il l’a attiré là-bas. Pas le temps de s’en formaliser. C’est un grand garçon, il nous rejoindra plus tard. J’ai l’impression que la horde a reflué vers le gymnase. Lili, avec moi ! Il y aura de la pâté de zombies au menu ce soir !
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Lili, quand je te dis de me suivre, qu’est-ce que tu ne comprends pas ? Comment ça tu as cru bon d’aller aider Mohamed à fermer un portail ? Je ne veux rien… Quoi ? Vous avez réussi à bloquer la prof de gym dehors ? Sacré exploit… Tu as de la chance, Lili. Beaucoup de chance. Tu féliciteras Mohamed si jamais tu le recroises. Et… oui, toi aussi je te félicite. Mais ne me refais jamais un coup de ce genre ! J’ai failli y passer au gymnase. La biblio m’a lancé un dictionnaire à la figure. Tu sais quel poids ça fait, toi, un dictionnaire ?
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Mo… ha… med… Plus… fort ! Pousse… plus… fort ! Mais, descend de ton vélo voyons ! Tu vas voiler ta roue en appuyant sur la grille avec. Après ça, on sera bien avancés.
Ouf ! Voilà une bonne chose de faite. On a fermé la moitié des portails. En plus de ça, on a fichu dehors drôle de grimace pour de bon. Tu ne trouves pas que ça a été un peu trop facile ? Mais… attends voir… C’est quoi ce cri strident qui vient de résonner dans les salles de classe ?
Lili. Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Une… Une guêpe ? C’est une blague ? Tu as fait tout ce chambard parce que tu as eu peur d’une guêpe ? Tu es au courant qu’on est envahi par des morts-vivants qui veulent nous dévorer les entrailles et en retapisser les murs ?Par… pardon pour l’image. C’est un peu dégoûtant, je sais. Je me suis laissée emporter.
Quoi Lili ? Est-ce que si tu laisses la fenêtre ouverte, ça va faire un courant d’air ? Mais qu’est-ce que ça peut bien me faire ? J’ai d’autres chats à fouetter. C’est pas possible, mais c’est pas possible ! Qui m’a fichu une bande de branquignoles pareils !
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Mayday ! Mayday ! J’en appelle à toutes les unités, la bibliothèque est attaquée par une horde de zombies menée par le vol moustachu ! Nous avons perdu trop de temps à fermer le troisième portail. Nous sommes en train de perdre le contrôle de la situation. Je demande à Feiyaz de me rejoindre en salle des professeurs de toute urgence. La situation est critique. Je répète, la situation est critique. En plus de ça, y fait un froid de canard. Lili, ne me dis pas que tu as oublié de refermer la fenêtre ?
*
C’est fini. Nous sommes débarrassés des méchants. Eh bien, ça n’a pas été une sinécure. Ton aide n’aurait pas été de trop, je ne te remercie pas pour ton manque de débrouillardise… Je te rassure, repousser les zombies n’est pas aussi compliqué à chaque fois. C’est bizarre, on les aurait cru mieux organiser que les autres fois. Parfois, j’ai même eu l’impression qu’ils anticipaient certains de nos déplacements, qu’ils essayaient de nous attirer sur des fausses pistes et qu’ils agissaient de concert. Je me demande si on ne les aurait pas sous-estimé. Faut dire qu’on ne sait pas grand chose sur les super-zombies. Peut-être que… Non, je ne veux pas y penser… Oh, et puis, si tu insistes, je peux bien te confier le fond de ma pensée ; mais crois moi, tu risques d’en faire des cauchemars.
Je me disais que les super-zombies étaient peut être en train de développer une forme d’intelligence primitive. Je n’irai pas jusqu’à dire que leur incursion était un modèle de stratégie mais, ça faisait longtemps qu’ils ne nous avaient pas donnés autant de fil à retordre. J’ai un mauvais pressentiment. Les jours qui arrivent vont être bien sombres, je le crains.
Parfois, je me dis que cette école est comme une prison. J’ai entendu des rumeurs dernièrement. On dit que des collégiens ont réussi à monter une base dans le centre-ville. Je n’en ai encore jamais parlé aux autres mais…, si ça commence à sentir le roussi ici, il faudra peut-être qu’on songe à aller demander de l’aide.
Bah… N’y pensons plus. On a des tâches plus urgentes à régler. Contrôler les cadenas, nettoyer le bazar, prendre du repos et…
AAATCHOUM…
Bon sang, ce serait pas du vent que je viens de sentir ? Lili ! Lili ! Descend de ton skate tu veux. Tu vas aller la fermer cette satané fenêtre ? Tu as fini par me faire attraper froid avec tes sottises !